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André Jolly - peintre de Névez et de Pont-Aven
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Dans ses marines, André Jolly maîtrise la beauté changeante de la mer en divisant ses couleurs graduées, en saisissant ses scintillements qui dialoguent avec un ciel réduit au minimum. Dans certaines toiles, on peut lire l’influence de son ami Henry Moret, mais ses représentations sont plus vigoureusement cloisonnées, la touche est plus largement virgulée et les couleurs sont plus soutenues et contrastées. Le secteur de Raguénes lui inspire plusieurs toiles, notamment Marine, Une plage,
La Pointe qui, présentée au salon d’Automne, en 1907, est remarquée lors d’une exposition à Angers par le secrétaire de “L’Union Internationale des Beaux-Arts, des lettres, des Sciences et de l’Industrie”; elle est reproduite dans le No 34 de la revue ”Tendances Nouvelles”.
André Jolly aime à représenter des natures mortes qui imposent à l’artiste de se mesurer aux choses inanimées placées en un apparent désordre; l’inévitable serviette plissée introduit un mouvement qui contraste avec le statisme de l’ensemble.“Je racle, écrit-il à René, une palette où de petits tas bigarrés se sont durcis et contractés, et je vais mettre en train une nature morte, simplement une soupière quelconque avec un couple de pommes pour me refaire la main qui, j’en ai peur, doit être bien rouillée.” Il peint Pommes et faïences qu’il expose au salon d’Automne de 1908. Il aimait les fleurs et brosse par touches éclatantes leur puissance colorée et leur fragilité en représentant quelques pétales tombés. Il excelle à peindre glaïeuls, dahlias, œillets, roses, anémones, une gerbe d’iris sur fond cramoisi, des Soleils sur fond bleu. Dans la toile, Les Digitales aux Chats,il désigne ses influences par une estampe japonaise d’Hiroshighe peinte vers 1850, une affiche figurant les chats de Steinlen, un pot noir et des citrons traités à la manière de Cézanne dont le talent est consacré par la rétrospective de ses œuvres au salon d‘Automne de 1907.
André Jolly ne pouvait pas ne pas s’interroger sur la voie artistique qu’il allait suivre. Peut-être partageait-il la perplexité de Paul Sérusier qui écrit à Maurice Denis, en 1889, qu’il est troublé “par un manque de délicatesse, une affectation illogique du dessin puéril, une recherche de l’originalité allant jusqu’à la fumisterie...”(6) Il apporta une réponse sans concession, mettant en pratique les conseils que Cézanne donnait à Emile Bernard, en 1904: ”Le peintre doit se consacrer entièrement à l’étude de la nature et tâcher de produire des tableaux qui soient un enseignement... On n’est ni trop scrupuleux, ni trop sincère, ni trop soumis à la nature... pénétrer ce qu’on a devant soi et persévérer à s’exprimer le plus logiquement possible.” (7)
Pendant l’année 1912, André Jolly séjourne à Pont-Aven. “Ma case, voisine de celle de Morin, explique-t-il à René, dans une lettre datée de décembre, bénéficie du confort moderne qui s’harmonise au mieux avec la nouveauté des matériaux employés: ciment imitant la pierre, comprimés de mâchefer, et en guise de toiture, une terrasse en rubéroïde ou papier goudronné. Pauvre Pont-Aven! comme mon propriétaire... te défigure!... regrette-t-il.” Son rude travail de peintre l’épuise et, dans cette même lettre, il demande à son cousin d’excuser son long silence épistolaire: ”spécialisé dans des arabesques de lignes et des combinaisons de couleurs, et m’y enfonçant chaque jour davantage à l’exclusion de tout autre souci, j’en arrive tout bonnement à mener une vie de brute, dont la vision quotidiennement s’exalte, dont le cerveau quotidiennement aussi s’atrophie. Il est évident qu’une aussi farouche et tyrannique monomanie est une marque de faiblesse, d’impuissance même. Ou peindre, ou faire autre chose; mais ne pas mener les deux de front; humiliant dilemme... Tant pis, nécessité fait loi. Et connaissant mon indigence, je me cantonne dans la seule faculté qu’elle me permette. Et courbé, tête basse, je besogne...” Après un séjour de six semaines à Pont-Scorff, “fort beau pays, très accidenté ... où l’automne en a avivé extraordinairement le charme grâce à la richesse de ses chamarrures et à la singularité de ses fantaisies ...”, il rapporte quinze toiles qu’il terminera à l’atelier.
Dans un autre genre, André Jolly s’essaie à la gravure sur bois et produit, pour chaque nouvel an, des cartes de vœux qui reprennent les constantes artistiques du peintre: les personnages sont placés dans un décor arborescent et le synthétisme servi par un trait sûr ne néglige pas le détail juste. La carte, Bonne année 1914, qui représente la paysanne ployant sous son fardeau, est involontairement prophétique du désastre à venir.
Le 4 novembre 1913, André Jolly épouse à Brest, Louise Le Bris, institutrice qu’il a rencontrée à Pont-Aven et à laquelle il a offert Bouquet pour sa fiancée. Installé à Loctudy, il peint à plusieurs reprises l’anse du Suler (Le Suler sous la neige – Neige au printemps – Le Suler en Automne), dominée en amont par la chapelle de Croachou et où, en aval, le flux et le reflux activaient le moulin de Penanveur.
Neige au printemps est conçu en mars 1914, au moment de la naissance de sa première fille, Renée; les lignes du relief et du méandre de l’anse sont synthétisées; les reflets associent l’ombre verticale des pins et le cisaillement horizontal des chaos granitiques qui affleurent.
Mais le bel équilibre qu’il a construit est bouleversé par la déclaration de guerre, le 3 août. Lors de la mobilisation, maintenu à l’arrière pour arythmie cardiaque, il est nommé intendant au Likès de Quimper reconverti en hôpital militaire. Il compose alors des gravures sur bois qu’il publie, en 1920, sous le titre, Trois aspects d’un dépôt de convalescents, comme un hommage aux martyrs de la guerre. Poussé par un sentiment patriotique mêlé à la mauvaise conscience d’être “planqué” à l’arrière, loin de Charleville où l’ancienne imprimerie aurait été réquisitionnée par le Kronprinz, André Jolly, malgré les infirmités qu’il côtoie et le profond attachement qui le lie à son épouse et à sa fille, demande à être envoyé au front. Il rejoint les premières lignes en Alsace, au sud de Mulhouse. Il est affecté au “ Service de Repérage et d‘Observation Terrestre“ (S.R.O.T.) dont les informations permettent de régler les tirs d‘artillerie. Les 6 novembre et 2 décembre 1917, il assure, sous le feu, une liaison constante entre un observatoire violemment bombardé et le central de la section: cet acte de courage lui vaut d’être décoré de la croix de guerre, le 19 février 1919.(8) Cependant l’expérience des combats n’oblitère pas sa vision d’artiste. En octobre 1917, il écrit à son beau-frère, le docteur Rancurel: “Quand le mauvais temps limite les bombardements, je dessine mon cantonnement qui ne manque pas de charme pour un peintre. C’est un village accroché à flanc de coteau, amas de ruines parmi les vergers très forêts-vierges. Notre observatoire est noyé dans la verdure, au sommet de la colline, tandis que la maison où nous logeons est en bas... et puis j’ai fait une récolte de roseaux pour dessiner à la plume, à l’instar des Japonais et de Van Gogh qui en faisait la cueillette aux environs d‘Arles. Je vais les dépouiller le soir, à la lampe, et les faire sécher près du fourneau. Ils donnent un trait amusant, très souple et doux.” Il compose de belles études à l’encre, rehaussées de couleurs éclatantes qui représentent ses camarades, son camp et de pittoresques maisons à colombage. Après la guerre, conjuguant ses talents de peintre et d’homme de lettres, il fait éditer un recueil, Images d’Alsace, où dix gravures sur bois sont illustrées de courts textes poétiques. Neuf demeures alsaciennes sont associées à des figures locales qui en enrichissent l’âme. Aux dessins réalisés avec soin, font écho les mots choisis qui évoquent des couleurs, des musiques, des parfums mémorisés. En mettant à l’épreuve, et la main et l’esprit, il produit, avec bonheur, une œuvre originale qui ouvrait une voie prometteuse qui n’a pas été poursuivie.
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